©Youri Lenquette; France.Paris. 06/2010. Abdou Guite Seck . Musique Senegal. M'Balax.

Il avait disparu de la scène musicale, mais en réalité, Abdou Guité Seck avait rangé plume et micro pour faire un saut dans l’agriculture. Un domaine dans lequel le chanteur dit avoir appris beaucoup de choses. Aujourd’hui,  après cinq ans sans production musicale, le Saint-Louisien reprend du service avec un album de huit titres  intitulé  ‘’Njukël’’. L’opus sera disponible le 03 mai prochain. Dans cet entretien accordé ce vendredi à EnQuête, l’auteur de ‘’Evolution’’ chante les maux de la société sénégalaise, y compris ceux de la musique. Avant de déplorer la politique culturelle du gouvernement.

Comment expliquez-vous votre longue absence de la scène musicale sénégalaise ?

Cette absence est liée par la persévérance dans notre travail. Nous faisons le maximum possible pour essayer de faire quelque chose de neuf. Et d’une qualité irréprochable. Jour et nuit, nous essayons de travailler dans cette dynamique. Et je pense que nous sommes arrivés au terme de cette attente. Car depuis longtemps, nous devrions sortir cet album. Mais compte tenu des exigences de communication, nous sommes arrivés jusque-là. Aujourd’hui, une date est fixée : le 3 mai prochain.  Pour moi, chaque jour est une nouvelle chanson. Et cet album va marquer autre chose au cours de notre vie, notre carrière. Ceci à travers la pertinence des thèmes qui y sont développés. Aussi, il y a le contenu par rapport à notre société.

L’album a-t-il été préparé ici, au Sénégal, ou à l’extérieur ?

Je dois dire que j’ai beaucoup bougé pour d’autres projets qui ne sont pas relatifs à la musique. Mais je suis plus présent au Sénégal parce que c’est ici ma base de création. Il s’y ajoute que mes collaborateurs sont ici. C’est avec eux que j’ai conçu ce que je vais présenter dans les quatre prochaines années.

Vous avez fait presque 20 ans dans le domaine de la musique. Mais votre carrière tarde toujours à prendre son envol. Comment expliquez-vous cela ?

Bon, il n’y a pas d’explication à ça. Je pense que cette question est relative à la vision de tout un chacun. Mais moi, à mon niveau, je me sens très confortable. Parce que j’ai eu à faire des choses qui, jusqu’ici, sont reconnues d’une grande qualité. Jusqu’à présent, je baigne dans cet équilibre (…). Par contre, chacun a son rythme et sa manière de faire. Je ne me presse pas. Parce que ce n’est pas une question de concurrence.

Le fait que vous soyez installé à Saint-Louis ne constitue-t-il pas un handicap  dans vos activités musicales ? 

Vous posez là une question pertinente, et par conséquent difficile à répondre. Parce que du côté des Saint-louisiens, s’ils ne me voient pas, ils formulent des reproches à mon égard. Et malheureusement, vous ne pouvez pas être compétitif au-devant de la scène tout en restant à Saint-Louis. Cette situation, j’en suis conscient. D’ailleurs, ça me fait mal parce que nous aimons notre ville. A cet égard, nous aimerions que le potentiel soit décentralisé pour que les jeunes d’ailleurs bénéficient des mêmes avantages que ceux de Dakar. Malheureusement, tel n’est pas le cas. C’est la raison pour laquelle je m’absente beaucoup de Saint-Louis. Aujourd’hui, je suis à Dakar où j’ai réalisé la totalité de mon album, même s’il y a une couleur Saint-louisienne.

A un certain moment, vous aviez essayé d’avoir une vie à Dakar. Vous étiez présent dans certaines boîtes de nuit.  Mais aujourd’hui, vous avez pratiquement déserté tous ces endroits. Est-ce à dire que vous avez un problème d’agenda pour jouer de manière régulière à Dakar ?

Je suis un artiste. Mais  pour moi, ce n’est pas une obligation d’être à Dakar et de jouer tous les week-ends. De ce point de vue, je suis là quand j’ai des choses à dire et je joue s’il y a quelque chose de nouveau à présenter, à mettre sur pied. Donc, je ne vais pas jouer pour jouer. Je n’ai pas cette mentalité qui consiste à dire qu’il faut jouer sinon vous allez mourir. Moi, je ferais en sorte que, même après ma mort, je sois toujours présent à travers mes œuvres. Autrement dit, je me contente du rythme que j’ai adopté.

C’est peut-être la raison pour laquelle on ne vous voit pas organiser des soirées au Grand Théâtre ?

J’avais produit au Grand Théâtre. Peut-être que je ne l’ai pas fait de ma propre initiative. Et je rappelle que j’y avais tenu une manifestation dénommée ‘’Guité Art’’. C’est un concept qui met l’art au service du développement. La première édition a été faite au Théâtre national Daniel Sorano. Et certainement, je compte organiser la deuxième édition au Grand Théâtre après la sortie de mon album.

Peut-on avoir une idée des thèmes développés dans ce nouvel album ?

J’en ai proposé deux dont un morceau que les fans ont demandé de reprendre. Parce que je n’ai jamais repris, depuis ma carrière, une de mes anciennes chansons. Il s’agit de ‘’Thiono adouna remix’’. Au-delà de ce morceau, nous avons aussi découvert ‘’Yawoni’’. C’est une chanson de connotation orientale mauritanienne’’. Ça aussi, c’est pour ouvrir une brèche de notre culture pour plus développer nos sonorités. Il y a d’autres morceaux comme ‘’Africa’’. Bon, on aura la chance de décortiquer tout cela lors de la conférence de presse qu’on organisera dans les prochains jours. J’ai également développé un thème relatif au civisme en collaboration avec la structure en charge de la gestion des ordures. J’ai aussi fait un plaidoyer pour nos enfants, pour ensuite dénoncer  l’hypocrisie dans la société sénégalaise etc. Cet album va s’intituler  ‘’Njukël’’ pour dire merci à tous ceux qui m’ont accompagné depuis que j’ai commencé ma carrière.

A travers votre musique vous ne cessez de  plaider la cause des mômes. Quel commentaire faites-vous sur la situation des enfants talibés ?

Vous savez, dans cet album, j’ai beaucoup parlé de la situation des enfants. Et nous sommes tous responsables. Autrement dit, chacun doit agir pour le bien des enfants, y compris l’Etat. C’est donc une chanson qui va parler des adultes responsables de ce fléau. Aussi, elle va magnifier les actions qui ont été menées jusqu’ici pour sauver le devenir de ces enfants talibés.

Avec le recul, pensez-vous qu’on soit sur la bonne voie pour éradiquer ce fléau ?

En tout cas, je sais que nous sommes conscients que le phénomène existe.  Et les solutions existent pour arriver à une solution définitive de ce problème. Mais est-ce que nous sommes sur la bonne voie ? C’est ça la grande question car le problème demeure, reste intact et visible. Je pense qu’il manque cette volonté politique pour venir à bout de ce fléau qu’est la présence des enfants dans la rue.

Quelles appréciations faites-vous du travail de la Sodav ?

Aucune appréciation pour l’instant. Pour le moment, je ne sens encore rien de la Sénégalaise du droit d’auteur et du droit voisin (Sodav). Mais j’espère des lendemains meilleurs pour les artistes qui doivent pouvoir vivre de leur art. Pour mon cas personnel,  je ne me sens pas soutenu. Aujourd’hui, on peut me reprocher d’être absent de la scène musicale,  mais est-ce  que les conditions sont réunies pour entendre l’artiste que je suis.  Face à cette situation, un artiste conscient doit prendre du recul, pas au point de démissionner, mais dans le but de revoir sur quel pied danser. Parce qu’on a beau créer, écrire… Malheureusement, dans le domaine de la production, c’est toujours à perte. J’ai beaucoup investi dans cet album. Pour le moment, j’ai, au moins, mis 20 millions de F Cfa sans sponsors, encore moins de soutien.

Comment comptez-vous faire pour rentabiliser cet album ?

(Rires) Vraiment, je ne sais pas. Surtout avec la piraterie. Après la sortie de l’album, nous allons organiser des concerts. Et peut-être, ces spectacles  pourront nous permettre d’avoir quelque chose…

Quelle analyse faites-vous de la politique culturelle de l’Etat ?

Il faut rendre à César ce qui lui appartient. La première pierre à poser, c’est d’assainir le milieu, en bannissant le favoritisme et le ‘’yaama neex’’ etc. Aujourd’hui en France, quand vous produisez une chanson et que 55% ou 60% est français, avec les maisons de disque, automatiquement vous allez avoir un nombre de passages pour les télévisions. Il y a des normes qui permettent à chaque musicien de savoir ce à quoi il peut s’attendre après avoir mis sur le marché un produit bien travaillé. Mais chez nous, la performance et le professionnalisme ne sont pas rémunérés. Je ne vois pas dans ces conditions l’utilité de se tuer à créer et à bien faire. Et c’est ce qui crée un nivellement vers le bas de la création artistique. Donc, il faut qu’il y ait des gens qui pensent à la culture et  prennent de bonnes initiatives. Il s’agit de donner à la culture toutes les chances de rayonner. Mais malheureusement aujourd’hui, je suis seul dans ce combat. C’est ce qui est dommage.

 Selon vous, qu’est-ce qu’il faut faire pour  assainir le milieu de la musique ?  

Nous n’avons que notre voix et nos créations. Nous n’avons pas le pouvoir de faire changer les choses. Tout ce qu’on peut faire, c’est de dénoncer les manquements et les tares de notre musique. Je ne  suis qu’un simple artiste, même si j’ai mon mot à dire dans la marche du pays. Je pense qu’au ministère de la Culture et de la communication, il y a  des gens qui sont nommés pour faire ce travail. Il y a donc toute une équipe qui existe pour assainir le milieu.

Globalement, quel regard portez-vous sur l’évolution de la musique sénégalaise ?

C’est une musique que je respecte beaucoup. A mon avis, il y a des perspectives. Certes, les nouvelles technologies nous ont fait beaucoup de mal, mais elles nous ont aussi offert des choses positives. Si je sors mon album ici, vous pouvez l’avoir à Tokyo ou ailleurs. La musique sénégalaise regorge beaucoup de talents. Malheureusement, rien n’est fait pour détecter les jeunes pépites. Il n’y a aucune formation pour  les jeunes  artistes. Par exemple, si vous voulez apprendre la guitare, vous allez le faire où au Sénégal ? (…) C’est dire que sans une formation adéquate, nous continuerons toujours de tourner en rond.

Le ‘’Mbalax’’ est-il si difficile à exporter, comme le soutiennent certains musiciens à l’image de Cheikh Lô ?

Oui,  notre ‘’Mbalax national ‘’est difficile à exporter parce qu’il est incompréhensible sur le plan international. C’est pourquoi nous devons produire des œuvres de qualité. En ce qui me concerne,  j’étais obligé de prendre le temps qu’il faut pour présenter des productions de très bonne facture. Mais je suis aussi dans d’autres domaines.

Justement, il paraît que vous  avez un pied dans l’agriculture ?

Effectivement, je suis dans l’agriculture. En un moment donné, j’avais besoin de déposer ma plume et mon micro pour aller me ressourcer, me régénérer spirituellement etc. Car je refuse d’être l’esclave d’un système. Cette retraite a été bénéfique pour moi. J’en ai eu beaucoup d’expériences. C’est un moment où j’ai découvert autre chose, loin du milieu de la musique. Et chaque découverte est une richesse. A cet égard, je dis que je suis content d’avoir d’investi dans l’agriculture.

Etes-vous toujours dans le secteur agricole ?

J’y suis toujours. Mais quand je me concentre sur un album, rien d’autre n’existe.  Aujourd’hui, je suis intégralement dans mon album. Mais je tiens à souligner que je ne compte pas tourner le dos à mes activités agricoles. Car c’est un socle de développement pour le pays. C’est une expérience  que j’ambitionne de partager avec d’autres jeunes. Je suis même  prêt à collaborer avec eux.

Que répondez-vous à ceux qui soutiennent que vous n’avez plus d’inspiration ?  

(Rires) Je préfère répondre à travers mes albums qui vont bientôt être disponibles sur le marché musical. Si je n’ai plus d’inspiration, je ne chanterai plus. Dans ce cas, je ferai autre chose. Donc, il n’y a pas de mal à ne plus avoir d’inspiration. L’essentiel, c’est d’être fort dans son esprit, de positiver les choses. J’ai cet équilibre de par ma famille qui m’entoure, mes amis. Par conséquent, je peux dire que je suis un homme heureux.

Le mouvement Y’en a marre a organisé hier un grand rassemblement pour dénoncer ‘’les dérives du régime’’. En tant qu’artiste, que pensez-vous de la marche du pays depuis l’avènement du président Macky Sall ?

Je dirais tout simplement qu’il y a beaucoup de choses à faire et à consolider dans ce pays. Et je pense que le président de la République est beaucoup plus conscient que moi de la situation du pays. Beaucoup de problèmes demeurent dans notre société. Nous avons du mal à joindre les deux bouts. Je soutiens le mouvement Y’en a marre dans ce qu’il croit faire de mieux pour le pays. Et je ne vais pas entrer dans les détails parce que  je ne suis pas très politique. Même si dans mon prochain album,  il y a une chanson très engagée.

Ndar24.com

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