Une clameur populaire persistante s’est élevée ces jours-ci, alimentée par des activistes inspirés par le déboulonnement de la statue du célèbre négrier Edward Colston et l’appel à la tombée de la statue de Cecil Rhodes à Oxford University. C’est ainsi que la statue du Général Louis Faidherbe a été subitement diabolisée par les activistes et prise pour cible à travers de virulents appels à la haine du colonisateur français auxquels les Saint-Louisiens et autres Sénégalais ont été conviés.
Que ceux qui s’attendent à ce que je prenne la défense de Louis Faidherbe se désillusionnent! Je ne serai l’avocat de personne! Ce qui m’intéresse, c’est mon pays le Sénégal. Ce qui m’intéresse c’est l’image et le destin de Saint-Louis du Sénégal, la plus belle ville du Monde! Ce qui m’intéresse ce sont les Saint-Louisiens eux-mêmes, mais surtout ceux d’entre eux qui correspondent réellement à cette célèbre description du Saint-Louisien par le Duc de Lauzun, premier Gouverneur du Sénégal nommé en 1779 par le Roi de France: « Saint-Louis…ses habitants l’aiment avec fureur, n’imaginant pas d’autre bonheur que d’y vivre, quoiqu’il soit bien rare de n’y point mourir jeune. Tous les trésors de l’Europe ne les détermineraient pas à y passer. » En effet, pour le Saint-Louisien authentique, d’origine, de naissance, d’adoption ou d’éducation, rien au Monde n’est comme Saint-Louis, le Royaume légendaire de Maam Kumba Bang.
Cet amour viscéral des Saint-Louisiens pour leur ville a été remarqué bien avant 1779. C’est la raison pour laquelle, j’ai été peiné et surpris quand j’ai entendu cette clameur xénophobe teintée de haine envers la France colonisatrice et les Français eux-mêmes de la part de certains Sénégalais qui se proclament Saint-Louisiens. Cela me surprend et me fait de la peine quand cette clameur de haine prend naissance à Saint-Louis, ville de métissage, de paix et d’élégance où toutes les races, toutes les ethnies ont toujours vécu en parfaite symbiose. Les religions chrétienne et musulmane ont toujours cohabité à l’île de Ndar, dans la paix et la fraternité. Dans mon désarroi j’ai été amené à poster l’avis suivant sur ma page Facebook: « Le Doomu ndar de naissance et d’éducation, ne saurait être violent, vulgaire ou Voyou. Qui peut me prouver le contraire? » Quelques jours plus tard, j’ai posté l’avis ci-après: « Saint-Louis, ville d’élégance et de paix a d’autres priorités que de s’attaquer à un mort et à une statue! »
Au-delà des propos tendancieux qui ont été émis pour inciter les populations à s’attaquer à la statue de Faidherbe, certains activistes se sont justifiés par la nécessité disent-ils, de « …rompre le cordon ombilical avec le colonisateur… » (sic). Ma réplique à ce surprenant argumentaire se présente sous la forme d’une série de questionnements adressés aux activistes pour la réalisation de cette rupture qu’ils préconisent avec passion! Notre peuple va-t-il définitivement tourner le dos à la langue française et arrêter de parler français? Allons-nous arrêter d’écrire en Français? Allons-nous cesser de porter les costumes français? Allons-nous continuer de banaliser et de ridiculiser nos langues nationales tout en faisant la part belle à la langue française? Allons-nous continuer à nous soigner avec les médicaments et la médecine française tout en diabolisant notre traditionnelle médecine des plantes ? Allons-nous continuer à baser notre économie sur la monnaie française? Allons-nous tourner le dos à l’aide de l’Agence française de Développement (AFD)? À quoi sert-il d’insulter le colonisateur quand on sait qu’en cas d’urgence, ce sont les Forces françaises basées à Dakar qui nous aident à éteindre nos incendies et nos feux de brousse dans les cas graves?
Devrons-nous également faire table rase des sacrifices des Régiments de Tirailleurs sénégalais (RTS) qui ont donné leur vie et versé leur sang pour défendre la France?
Je me pose la question de savoir si, après la destruction suggérée de la statue de Faidherbe, il ne faudrait pas poursuivre la même logique et faire tomber le Monument aux morts érigé à Guet-Ndar, détruire le Pont Faidherbe symbole de l’amitié franco-sénégalaise, inauguré le 14 juillet 1897. Ce même pont faut-il le rappeler, a été réhabilité par la France en 1933, puis en 2008 sous le régime de Maître Abdoulaye Wade et Jacques Chirac. Faudra-t-il rompre le cordon ombilical et effacer la France du paysage sénégalais en détruisant le Palais du Gouverneur de Saint-Louis, les immeubles des Rogniat Nord et Sud de la place Faidherbe? Faudra-t-il détruire l’hôpital colonial, L’IFAN et le grand marché de Ndar-Toute, la grande mosquée du Nord, la cathédrale Saint-Louis?
À quoi sert-il de déterrer la hache de guerre et d’exhumer les cruautés de Louis Faidherbe tout en oubliant ses bonnes actions (car il y en a aussi, il faut avoir l’honnête courage de l’avouer). À quoi sert-il d’insulter la statue d’un colonisateur mort depuis 131 ans? Pourquoi donc s’acharner sur un mort alors que Dieu le Meilleur des juges l’a si sévèrement châtié à la fin de sa vie? En effet, après de longues années d’horrible souffrance, le Général Louis Faidherbe est mort le samedi 28 septembre 1889 à Paris. Son avis de décès publié par son gendre le Capitaine Brosselard, était ainsi libellé: « Le Général Faidherbe s’est éteint ce matin à neuf heures un quart, des suites d’une longue et douloureuse maladie, contractée en 1847 en Algérie. C’est en effet à cette lointaine époque qu’il faut faire remonter l’origine de l’ataxie locomotrice dont le général était atteint ».
En 1875, Louis Faidherbe perdit l’usage de ses jambes, vécu sous l’influence d’insomnies qui hâtaient son affaiblissement. Il subit de très longues crises douloureuses. C’est d’ailleurs à la suite d’une crise violente qu’il rendit l’âme. Un journal de l’époque signala que son ataxie locomotrice qui dura 43 ans était un cas sans précédent dans les annales de la médecine! Cette singulière maladie qui clouait Faidherbe au lit s’était aggravée d’hydropisie généralisée ce qui entraîna une paralysie progressive dans l’accomplissement des fonctions vitales. Dans ses derniers jours, il était entré dans un état comateux qui causa l’engourdissement rapide de toutes ses facultés! Les Sénégalais ne sont-ils donc pas satisfaits de cette longue et terrible punition qu’a subi Louis Faidherbe, la terreur des colonies? Dois-je croire que les Sénégalais peuple de croyants musulmans et chrétiens ne seraient pas satisfaits du châtiment que Dieu notre Créateur et le Meilleur des juges a infligé à Louis Faidherbe?
Pourquoi donc subitement tant de haine, d’agressivité et de violence verbale contre un colonisateur mort il y a 131 ans! Pourquoi s’acharner contre sa statue, objet inerte en bronze et en marbre que les Saint-Louisiens n’ont jamais vénéré, jamais honoré, jamais glorifié, jamais fêté? La seule fois où cette statue a réellement réuni une foule de Saint-Louisiens, c’était ce 11 juin 1958, à l’occasion du transfert de la capitale du Sénégal à Dakar. Ce jour mémorable, Maître Babacar Sèye avait escaladé la statue de Faidherbe pour dénoncer ce transfert qui sonnerait à coup sûr, le glas de la ville de Saint-Louis! (lire mon livre qui a pour titre: Itinéraire d’un Saint-Louisien, la vieille ville française à l’aube des indépendances. Éd. l’Harmattan 156 pages. 2004).
Comment effacer les empreintes indélébiles de la France à Saint-Louis, première cité française en Afrique occidentale, ancienne capitale du Sénégal colonial, mais aussi, métropole de la pensée et des échanges islamiques? Rares sont les érudits sénégalais qui n’ont pas foulé le sol de Saint-Louis pour y subir ou y parfaire leur formation dans tous les domaines de la connaissance, mais aussi y formuler des prières et des bénédictions.
En dépit de la présence de cette statue de Faidherbe au cœur de la « vieille ville française », la foi des Saint-Louisiens en Dieu et au Prophète Mohamed (PSL), n’a jamais été perturbée ou altérée. Elle s’est même renforcée avec la célébration annuelle d’un autre événement lui aussi lié à la colonisation, le Màggal des deux ràkkaa de Serigne Touba, à l’ombre de la fameuse statue, objet de la colère des activistes!
Faudrait-il rappeler qu’en Égypte, pays musulman par excellence, les statues du sphinx dans le Dromos, celle des pharaons Toutankhamon, de Ramses 1, Ramses 2, Akhenaton et j’en passe, trônent encore sans jamais ennuyer les Imams, les mosquées et les prières des musulmans. Elles n’ont jamais altéré la foi des muftis ou déclenché une quelconque fatwa ou expédition punitive verbale appelant à la lapidation de ces œuvres d’art de grande valeur culturelle et historique et de renommée universelle.
Je voudrais terminer en invitant les vrais Saint-Louisiens, à ne pas se laisser manipuler et à ne pas suivre comme des moutons de Panurge, ces activistes pseudo patriotes qui manifestement, perdent leur temps et leur énergie en frappant sur les « traces du serpent » mort depuis 131 ans! On n’efface pas aussi facilement les traces de l’histoire! L’histoire sera toujours avec nous, dans les livres, les gravures, les mémoires, les archives, les architectures, les arts et la culture! L’histoire est éternelle!
Saint-Louis doit plutôt se mobiliser et se concentrer sur ses grands projets prioritaires qui se résument dans la lutte contre la Covid 19, l’insalubrité, l’encombrement de l’espace public, les inondations et l’insécurité. Saint-Louis a besoin de la réhabilitation de ses marchés de Sor et de Ndar-Toute. Saint-Louis cherche à mettre un terme à l’hécatombe de la brèche et aux menaces de l’avancée de la mer. Saint-Louis a besoin de rendre salubres et accueillantes ses plages et les berges de ses fleuves. Saint-Louis a surtout besoin de citoyens attachés aux valeurs de patriotisme, d’hospitalité, de paix, d’éducation et de solidarité.
Moumar GUEYE
Écrivain – Lanceur d’alerte
Grand-Croix de l’Ordre du Mérite
E-mail :moumar@orange.sn