IGFM-Deux pratiques anciennes distinguent Guéddé Bousso (Touba) des autres localités du pays. D’une part, la pratique de la Charia (application de la loi islamique) quand quelqu’un commet un acte adultérin et d’autre part l’exécution des prières en temps local. IGFM est allé à la découverte de ce bourg atypique.
L’impression de déjà-vu frappe au premier regard. Calèches brinquebalantes tirées par des chevaux faméliques. Maisons en dur édifiées dans un style moderne. Grand-Place traditionnelle occupée par un groupe de vieux. Et ces quelques jeunes nullement incommodés par le soleil au zénith et qui tapent rageusement sur un ballon de foot qui ne garde de l’objet que la forme. Puis ces femmes agglutinées autour d’un gros mortier duquel tombent des graines de mil qu’elles écrasent énergiquement. Un cliché typique des villages sénégalais.
Jusque-là, rien d’inhabituel. Mais, il faut pénétrer le cœur du bourg pour déceler la particularité de Guéddé Bousso. Une dalle en ciment orné d’une tige au centre et d’une aiguille.
L’horloge artisanale de Guéddé Bousso
Fichée au sol, cette sorte de grosse horloge artisanale surprend autant qu’elle étonne. De par sa configuration et son positionnement vis-à-vis du soleil, elle permet aux populations de déterminer les heures de prières. Avec la justesse recherchée par leur aïeul et fondateur du village, Serigne Modou Bousso. Un musulman orthodoxe qui tenait à suivre scrupuleusement les recommandations de son Seigneur. Un legs qu’il a laissé en héritage à ses descendants et talibés. Raison pour laquelle, dans ce patelin de Touba, les Bousso ne badinent pas avec l’exactitude des heures de prières.
«Les heures de prières sont définies par l’horloge locale de Guédé»
Loin d’être des anticonformistes, ces orthodoxes musulmans font appel à l’ancienne méthode connue de l’Islam pour connaitre les heures de prières durant la journée. Celle de se baser sur le soleil pour les fixer. Une tradition héritée de leur aïeul, Serigne Mbacké Bousso à qui Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, le fondateur du Mouridisme, avait demandé de s’installer dans cette localité pour y implanter le Mouridisme. «Quand le soleil est au zénith, et qu’aucune ombre n’apparait au sein du cercle, les populations estiment qu’il est 12h. Trente (30) minutes, le muezzin doit procéder à l’appel de la prière de Dohr. En temps universel, cette heure correspond à 13h (heure de Londres)», renseigne Cheikhouna Bousso.
Pour arriver à ce chef d’œuvre, Serigne Mbacké Bousso a observé le soleil de son lever à son coucher. Il a ainsi produit un cadre des horaires de chaque prière. «Spécialisé en Astronomie, il a fait ce travail pendant 33 ans. Tous les jours, il mentionnait quelque part le parcours du Soleil (lever-coucher). Si un moment lui échappait, il le notait quelque part et attendait l’année prochaine à la même date et heure pour l’ajuster», explique Cheikhouna Bousso. Selon lui, c’est ce qui a permis à Serigne Mbacké Bousso de connaitre le temps local du Sénégal. «L’heure de Londres n’est pas l’heure du Sénégal», assure-t-il. Et ce calcul astronomique a accouché d’une œuvre, le «Yawakhitou salatou», rédigée en langue Arabe par Serigne Mbacké Bousso. S’il y a une différence entre les heures de prières, certains se basent sur le temps de Londres, Serigne Mbacké Bousso se basait sur «Al tawhite al mahly», celui local», révèle Cheikhouna Bousso. Une tradition perpétuée depuis par Guédé Bousso.
«Ici la charia est appliquée, mais s’y soumet qui veut»
Hameau soumis au bout de 220 kilomètres de la capitale, Dakar, Guédé Bousso est un village de la commune de Touba sis dans le département de Mbacké, dans la région de Diourbel. Sa grande mosquée, dont les deux minarets surplombent ses habitations, est distante de 3 km de celle de Touba. Dans ce village, se réveillent chaque jour plus de trente-sept mille (37 000) âmes au dernier recensement qui date de quatre (4) ans. Le commerce et l’agriculture sont les principales occupations de ces populations.
Fondé en 1918 par Serigne Mbacké Bousso sur recommandation de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, fondateur du Mouridisme, Guédé Bousso semble être le dernier rempart de l’orthodoxie musulmane. Ici, la pratique d’un islam basé sur la charia est de rigueur. Une attitude qui peut pousser le visiteur à croire que sa population est réfractaire à la modernité. Jusque dans leur mode de vie.
A Guédé Bousso, localiser la maison de l’imam est chose aisée. Ici, tout le monde ou presque se connait. Doudou, un jeune ado nous sert de guide. Fourré dans une tenue traditionnelle aux tons bleu et vert, des livres coincés sous la main droite, il indique d’une voix calme : «Le domicile de l’imam est celle qui se trouve juste en face de celle du chef de village.» Imposante, la concession de l’imam, compartimentée en appartements, trône à l’angle de la rue. Un bâtiment immaculé logé à l’étage se démarque des autres. C’est le Qg de l’imam. Une trentaine de marches plus tard, on débouche sur un salon. Deux hommes et une dame ont déjà pris place sur la moquette tandis que l’imam Mouhamadou Mamoune Bousso reçoit. Les salamecs évacués et l’objet de notre visite décliné, il conseille de se rapprocher d’El Hadji Omar Bousso, actuel khalife de Serigne Mbacké Bousso. Qui fera appeler à son tour, Ahmadou Lô et Chérif Hassan Bousso. Deux dépositaires des us et coutumes de Guédé Bousso. Une des rares localités du pays, à côté de Thiénéba Cadior, de Maïmounatou (Sagatta) et Thiénéba Seck (à 5 km de Kébémer) où la charia est encore mise en pratique par ses dignitaires religieux, les Bousso. Et les populations se prêtent à la règle.
Si quelqu’un commet un acte adultérin, il se rend volontairement auprès du khalife ou de l’Imam pour subir la sentence. Et le procédé est le même pour celui qui consomme de l’alcool. «Nous appliquons la charia mais, elle n’est pas systématique. S’y soumet qui le veut», précise Ahmadou Lô, chef de village de Guédé Bousso.
Agriculteur de son état, la soixantaine consommée, Ahmadou Lô revient de ses champs. Bon orateur, il décortique l’application de la charia dans leur village : «A Guédé Bousso, le tribunal musulman ne tranche pas les différends entre deux individus. Nous ne statuons que sur les faits d’adultère ou liés à la consommation d’alcool. Par exemple, celui qui a bu de l’alcool recevra 80 coups de fouet, 20 jours ou un mois après son acte et pour l’adultère, c’est 100 coups de fouet. Sans aucune compromission.»
Chérif Hassan Bousso de s’engouffrer dans la brèche. «Quand quelqu’un commet un acte adultérin et que celui-ci vient de son plein gré se soumettre au jugement selon la charia, les imams se chargent de son sort.» La sentence quant à elle sera exécutée sur la base de conditions précises. «Il faut que le fautif reconnaisse d’abord sa faute. Dans ce cas de figure, on n’aura pas besoin de faire recours à un témoin. Ensuite, la sentence sera exécutée au crépuscule, sur la place publique. La personne sera couverte afin qu’elle ne puisse être identifiée», continue Cherif Hassan Bousso. Si la personne qui commet l’acte adultérin est mariée, elle doit être lapidée jusqu’à la mort. Mais, précise Chérif Hassan Bousso, cette sanction n’a jamais été appliquée à Guédé Bousso. Et en cas d’adultère, seul les coups de fouets sont exécutés. «Cela pour éviter d’entrer en conflit avec l’autorité judiciaire», relève Chérif Hassan Bousso qui confie que, pas plus tard que le mois dernier, trois individus ont subi la sentence de la charia pour acte adultérin.
SAËR SY (Envoyé spécial) IGFM.SN