S’il y avait un prix très spécial à décerner, on devrait volontiers le donner à l’enseignant pour la bonne et simple raison qu’il fait partie de ceux qui contribuent le plus au développement d’un pays. La responsabilité de former l’élite appelée demain à gouverner repose sur ses épaules. On le trouve à tous les niveaux. Du préscolaire au supérieur, en passant par l’élémentaire, le moyen et le secondaire, il est toujours fidèle au poste. Qu’il pleuve ou qu’il vente, il est toujours présent. Il ne rechigne jamais à la tâche. Parfois déployé dans des contrées reculées, très éloignées de son doux foyer et où il n’aurait jamais imaginé mettre les pieds, même en rêve ou en cauchemar, il abandonne tout et y va sans broncher et sans jamais céder au découragement. Dans ces coins, il vit dans une précarité sans nom, privé parfois des besoins les plus élémentaires, mais il s’acquitte noblement de sa mission d’éclairer le chemin des ignorants.
Depuis des années, on assiste à une régression de la valeur de l’enseignant qui ne bénéficie presque plus du respect. Tout est aujourd’hui prétexte pour le dénigrer. On met à nu ses tares, décrie son faible niveau. Mais des tares, tout le monde en a et des cancres, il en existe partout. On en trouve dans l’administration, les médias, les finances, la santé, la justice, la politique et un partout.
On est exigent envers l’enseignant alors qu’il est moins payé que d’autres à niveau égal d’éducation. La majorité vit dans une extrême misère. Il est toujours déficitaire et tire le diable par la queue. Il enseignant n’ose même pas se payer une pizza de peur de fausser ses calculs à la fin du mois. L’enseignant ne prend pas de taxi, n’ose pas s’offrir certains luxes. Comme père Grandet (vieillard avare et rapace, un des personnages de Eugénie Grandet, roman de Honoré de Balzac), il est obligé de rationner ses dépenses, de tout planifier. Il est obligé parce qu’il peine à joindre les deux bouts et s’il ne le fait pas, il ne pourra jamais tous ses problèmes avec son misérable salaire.
Enseigner est le plus beau métier du monde, sinon même le plus noble, mais l’ingratitude du métier se montre par la rareté des opportunités pour l’enseignant de gagner beaucoup d’argent. Quand il va en grève pour demander une augmentation de salaire, une amélioration de ses conditions sociales, on le taxe de trop aimer l’argent. Qui dans ce pays n’aime pas l’argent ? Chaque jour, on assiste à une course effrénée vers l’enrichissement licite ou illicite. Les riches veulent devenir plus riches, les pauvres veulent changer de statut. Tout le monde se bat de façon loyale ou déloyale pour gravir des échelons et voir sa situation financière s’améliorer davantage.
Un enseignant a besoin d’un toit, d’être bien logé. Au moment où des gens qui font mille fois moins bénéficient d’indemnités mille fois plus élevées, il est dans l’ordre normal des choses que lui, l’enseignant, réclame aussi une indemnité de logement digne de son statut. Mais quand il organise une marche pacifique pour réclamer de meilleures conditions, on lui balance des bombes lacrymogènes. C’est vraiment ignominieux !
C’est très facile d’avoir un très bon salaire et mille et un avantages liés à la fonction, d’être à l’abri du besoin, et se mettre à critiquer l’enseignant. Personne n’est plus patriote que l’enseignant. Il a tout simplement besoin de retrouver toute sa dignité, d’un salaire qui reflète ses efforts. Si son devoir est de stimuler ses élèves, celui de l’autorité en retour est de le stimuler en valorisant sa tâche. Une tâche qui ne connait aucun répit. Que ce soit à Keur Massar, Pambal, Fissel, Kassack (Papa Alassane Mbaye, je ne m’adresse pas à toi), Ethiolo, Mbassis, Padalal, Djella, Diawara, Tuabou, Mbar, Mabo, Thiaré, Médina Yoro Foulah, Sinthiang Koundara, Ndorna, Bambali, Thiolom Fall ou dans les coins les plus reculés du pays, ils sont des milliers de femmes et d’hommes, vaillants enseignants qui, dans une salle de classe, un abri provisoire de fortune, ou à l’air libre, transmettent le savoir à nos fils, les nourrissent d’apprentissages de toutes sortes, ayant pour seul souci leur réussite.
On ne le dira jamais assez, l’éducation est la pierre angulaire du développement dans une société. Elle conditionne tous les autres secteurs. S’il n’y avait pas d’enseignant, le monde serait un gouffre rempli d’ignares. Et un monde d’ignares est un monde de merde. Et un monde de merde engendre des pays de merde.
Un enseignant, c’est celui qui peut changer la vie de quelqu’un. Et vous qui le critiquez sans cesse, avez-vous ce pouvoir ? Si vous l’avez, vous pouvez le critiquer en toute légitimité. Dans le cas contraire, respectez-le et honorez-le au lieu de vilipender et de le dénigrer.
samba Oumar Fall